Extrait d’une partie, version romancée :
— Thémis ! Bouge !
Trop tard.
Sa voix s’étouffe dans la détonation. Le cockpit vacille et s’ébroue, avant de s’éteindre. Haru sent son cœur rater un battement.
— Th… Thémis ?
Il actionne les commandes. Rien. Un coup sur l’ouverture d’urgence. Il s’attaque en tremblant à l’attache de son harnais et s’extirpe de la carcasse mécanique d’un bond.
Thémis est à genoux. Au-dessous de la verrière, un impact, d’où s’échappe une matière visqueuse et crépitante. Le réacteur principal est touché.
Le lien s’est tu.
J’aime écrire, oui. Et j’aime également jouer. Qu’il soit de société, vidéo, ou de rôle, le jeu me stimule par ses mécaniques, ses histoires et ses univers. Si, pour deux d’entre eux, nous ne les présentons plus aujourd’hui – n’est-ce pas, messieurs Jeux de Société et Jeux vidéo – le troisième vit encore dans l’ombre. Pour certains, il est sataniste, pour d’autres, une terre de liberté ! Braquons ensemble le projecteur sur mon petit favori : le jeu de rôle !
Une initiation… ratée
J’ai découvert le jeu de rôle avec Donjons & Dragons, 4e édition.
C’était MAGNIFIQUE ! Enfin, c’est ce que j’aurais aimé vous écrire ici. Pourtant, cette première expérience a été un échec.
Tout était trop lent : notre Maître du jeu, MJ pour les intimes, se perdait en descriptions interminables, ponctuées de jets de dés censés réveiller notre attention. J’ai détesté ces dés, qui me frustraient plus qu’ils ne m’amusaient. Tout mouvement était prétexte à lancer. Toute action, dictée par le Grand Livre Des Règles. Sa parole était immuable. Sacré ! AH !
Une collection d’erreurs de débutants, MJ comme Joueurs. Si c’était nul, pourquoi en parler alors ? Eh bien, il y avait tout de même quelque chose qui m’attirait, dans cette expérience. J’ai donc continué à creuser.
J’ai exploré d’autres systèmes, avec d’autres joueurs. Aujourd’hui ? J’aime. Ce que vous avez lu plus haut – quel extrait dramatique !— se déroule dans un de ces mondes chers à mon cœur, façonné avec des amis autour d’une table virtuelle et d’un micro. C’est devenu un nid confortable. Un plaisir.
Le jeu de rôle, un roman en filigrane
Ce qui m’a fait rester, ce ne sont ni les règles, ni les jets de dés, ni les fiches personnages bourrées de caractéristiques aux noms grandiloquents. Non. Ce sont les personnages.
Merenwen, Nerran, I.O., Chris, Nora, Haru, Haku, Anya, Nyr… Je me souviens de la majorité d’entre eux. Certains ne sont pourtant que des personnages d’un soir, mais tous possèdent quelque chose qui alimente mon imaginaire.
J’aime les peaufiner. Dans un jeu vidéo, nous choisissons d’abord l’apparence du personnage. Étrangement, dans le cas du JDR, la première chose qui m’intrigue, c’est leur passé. Que font-ils dans la vie ? Pourquoi sont-ils ici ? Quels petits tics les caractérisent ? J’aime savoir ce qu’ils ont perdu. Ce qu’ils cachent. Ce qu’ils espèrent.
Tous ces éléments, finalement, sont comme poser les premières lignes d’un roman : on imagine un protagoniste avec des failles, des désirs, des contradictions… puis on le laisse vivre. Rencontrer un conflit. Traverser une épreuve. Et on le regarde évoluer.
C’est ce qui arrive lors d’une partie. Les joueurs cheminent sur un sentier jalonné, et l’histoire s’écrit sans s’en rendre compte. À plusieurs voix, on incarne, on dialogue, on improvise. Le roman s’écrit à plusieurs mains. Chacun y met sa touche. Et le plus beau, c’est que rien n’est figé. Tout peut changer en un regard, une décision, un échec critique.
MJ, je deviens autrice
Écrire un scénario, c’est poser les bases d’un monde parfait. On imagine des péripéties dans une linéarité exemplaire. Du point A au point F, les jalons sont posés.
Mais quand les joueurs sont lâchés dans ce monde, je n’ai pas affaire à des collaborateurs compréhensifs. Oh non ! En général, j’ai l’impression d’avoir à ma table des chats devant lesquels on aurait posé un verre d’eau : imprévisibles et prompts à la destruction.
Alors, il faut apprendre à improviser. À rebondir. À faire de chaque détour un récit valable.
Cette improvisation mène parfois à des scènes mémorables. Il m’est arrivé de trembler avant de parler, en jeu. De rire aux larmes. De rester en silence après une scène forte.
Tout ça est « faux », bien sûr. Mais les émotions, elles, sont vraies. Ces émotions sont un moteur pour mon écriture. Il m’arrive d’écrire ces fragments de jeu. Parfois, une scène, une sensation. D’autres fois, l’aventure entière. Une phrase entendue en partie peut devenir le point de départ d’un préquel, d’un chapitre.
Le JDR me permet de tester des idées, des dynamiques, des conflits. D’explorer les émotions humaines dans un espace protégé.
C’est un terrain de jeu pour l’écriture, un laboratoire vivant.
Écrire en jouant, jouer en écrivant
Le jeu de rôle n’est pas qu’un loisir. C’est une autre manière de raconter des histoires. Une écriture orale, collective, éphémère, mais terriblement vivante.
Et parfois, au détour d’un jet de dé, on touche quelque chose de vrai.
Quelque chose qui nous touche.
Quelque chose qui mérite d’être écrit.
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