Un souffle

Un souffle

Un pansement, un cœur, un livre, une chaîne et une explosion.

— Vite !

Tu hurles. Une ombre passe dans ton dos et la porte claque violemment. Tu saisis déjà la chaîne qui traîne à tes pieds et condamnes l’entrée.

Les battements de ton cœur font trembler ta cage thoracique, tambourinent au niveau de tes tempes. Tu te forces à l’immobilité, colles ton dos contre la porte de bois et laisses les maillons de métal glacés appuyer sur tes muscles meurtris.

Pour l’instant, la douleur, tu t’en moques.

Petit à petit, ton souffle ralentit, devient plus long et plus profond. Tu t’enfonces dans le refuge et approches ton ami avachi contre la bibliothèque. Le bruit des bombes résonne encore à tes oreilles et, dans le silence pesant de la pièce, son souffle siffle et sonne, te comprime la poitrine.

— On va s’en sortir ?

Sa voix est faible et fatiguée, vibrante et vivante. Plus par automatisme que par réel espoir, tu réponds :

— Comme toujours.

Il se détache du bois d’un mouvement brusque, avance lentement dans la pièce et se laisse tomber en gémissant sur le dernier fauteuil encore intact de ton salon. Il rejette sa tête en arrière, les yeux clos.

Toi, tu es déjà face aux fenêtres et inspectes méticuleusement les barricades de fortune qui remplacent à présent les rideaux de dentelle. D’une main écorchée, tu en testes la résistance, flattes les bords abîmés, glisses tes doigts le long du verre fissuré qui laisse encore entrer une faible lumière grise. Un ultime rempart transparent, misérable, qui vous protège des horreurs de l’extérieur.

Un gémissement.

Ta main se crispe sur la vitre. La partie brisée fauche ta paume et la peau se déchire, libère le long du pouce un filet carmin. Ta langue claque sèchement contre ton palais, alors que tu serres les dents, rageur. Tu as envie de crier ta haine, ton désespoir, ta tristesse.

Tu veux comprendre.

Comprendre pourquoi, depuis quelques semaines, ton petit salon se résume à un simple feu de bois qui consume les reliques de ton ancienne bibliothèque. Comprendre comment ce quartier tranquille s’est transformé en tas de ruines, dans lequel le partage et la recherche de vivres ont supplanté les querelles de voisinage. Comment les choses ont-elles pu évoluer ainsi ?

La chute d’adrénaline embrume ton esprit et tes yeux vagabondent dans des décors d’autrefois que tu désespères de retrouver. Dans ton voyage, tes sens s’aiguisent, et ta réalité se fige soudain sur l’unique fauteuil de ton salon.

Ton corps entier se tend alors que tu t’attardes sur ce bas de tee-shirt noir trop humide. Le sang a gorgé le tissu, goutte sur le fauteuil. Tes jambes te lâchent, mais ton esprit se réveille, avance un pied à temps pour rééquilibrer ton corps, rééquilibrer ton monde.

— Tu saignes.

Tu n’aurais pas dû, mais tout s’effondre et cette constatation colmate les fissures le temps de réaliser. Tu t’avances dans les vestiges d’un fragment de vie que tu espérais plus long, que tu désires plus long.

Ton pas est sûr quand tu t’approches de lui. Tes mains s’agitent, ta gorge se serre, mais ta volonté s’exprime, esquisse un sourire avant de répondre :

— On va arranger ça.

L’espoir t’emporte. Tu y crois toujours quand tu te diriges en courant vers la trousse de soins, tu y crois encore quand tu t’élances vers sa silhouette que tu n’as que le temps de rattraper.

Tes doigts se heurtent au tissu poisseux. Il te souille, il te brûle. Tu resserres ta prise et d’un geste, clos les yeux vides qui ne te regardent plus.

Un souffle. Et les larmes, encore, viennent se joindre au rituel.

Le bruit des bombes siffle et sonne encore à tes oreilles et, dans le silence pesant de la pièce, ton souffle résonne, te comprime la poitrine.

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